XV
De là, Dieu protégeant son voyage, elle gagna sans encombre la villa de Saix, dans le territoire des Poitevins, près de la susdite bourgade, mais comment énumérer par le détail comment elle se comporta ?
À table, dissimulé sous un flan, c'était du pain de seigle ou d'orge qu'elle mangeait en secret, pour que personne ne sen aperçût.
En effet, depuis le temps où, consacrée par saint Médard, elle reçut le voile, jusqu’aux temps de la maladie, elle ne se nourrit que de légumes et d'herbes potagères, jamais de fruits ni de poisson, ni d’œufs, ni rien d'autre qui soit délectable.
Pour boisson, elle ne boit rien que de l'eau miellée et du poiré.
Jamais elle ne touche le vin clair, la décoction d'hydromel ni la cervoise trouble.
XVI
C'est alors qu'à la manière de saint Germain elle ordonne qu'on lui apporte dans le plus grand secret une meule.
Durant tout le carême, elle peina sur la meule autant qu'il fallut pour se nourrir pendant quatre jours.
Faisant aussi des oublies de ses mains, elle ne cessait de les dispenser aux lieux saints.
Et donc, puisque chez la sainte il n'y avait pas moins de pratique de la miséricorde que de concours de peuple, de sorte que ne manquaient pas ceux qui demandaient et que ne faisait pas défaut ce qui était donné, c'était merveille qu'elle ait pu offrir satisfaction à tous.
D'où venaient tant de trésors à une exilée ?
Tant de richesses à une étrangère ?
XVII
Que coûtait cette rédemption de chaque jour?
Elle seule le savait qui répondait aux demandes.
En effet, outre les repas quotidiens dont elle restaurait de toute sa piété les pauvres de la matricule, toujours deux jours par semaine, le cinquième jour après le samedi, et le jour même du samedi, après avoir fait préparer un bain, elle-même ceinte d'une serviette, lavant la tête des indigents, elle enlevait en frottant ce qu'il y avait là de croûte, de gale, de teigne, sans être rebutée par leurs plaies purulentes.
Et parfois elle extrayait les vers, nettoyait les pourritures de la peau, puis elle passait le peigne sur chaque tête qu'elle avait lavée.
Sur les plaies ouvertes que la peau béante ne recouvrait plus ou que les ongles avaient irritées, comme dans l'Évangile, elle répandait de l'huile et apaisait l'action du mal.
Des femmes qui descendaient dans le baquet du bain elle lavait chacun des membres, en les savonnant de la tête aux pieds.
À la sortie du bain, si elle en voyait qui portaient des vêtements trop vieux, elle enlevait ceux qui étaient élimés et leur en redonnait de neufs.
Loqueteux auparavant, soignés elle les faisait venir à table.
Lorsque tous étaient rassemblés et que tout était prêt, Radegonde elle-même présentait à chacun d'eux l'eau et la serviette : aux invalides elle essuyait également le visage et les mains.
On apportait alors trois plats garnis de mets délicieux et c'est Radegonde qui, debout, à jeun devant ceux qui déjeunaient, attentive à ses convives, leur coupait elle-même le pain, la viande et tout ce qui était servi.
Aux faibles et aux aveugles, elle ne cessait de présenter les aliments à la cuillère.
Cela en présence de deux servantes, mais elle seule faisait le service : comme une nouvelle Marthe elle s'activait jusqu'à ce que les frères ayant bu à satiété devinssent joyeux du repas.
Alors qu'elle s'en allait pour se laver les mains, on la remerciait déjà pour ce repas si bien préparé.
Si elle entendait quelque agitation, elle les invitait cependant à rester assis jusqu'au moment où ils voudraient bien se lever.
XVIII
Chaque vénérable dimanche, elle avait pour règle, été comme hiver, lorsque les pauvres étaient rassemblés, de verser au premier de sa propre main la douce boisson d'un vin pur, puis elle confiait à une servante le soin de donner suffisamment à boire à tous les autres.
Car elle se hâtait quant à elle de courir à la prière pour réciter tout l'office et allait au-devant des prêtres invités à table, que, toujours à la façon des rois, elle ne laissait pas repartir chez eux sans cadeaux.
XIX
Avec quel amour aussi n'accomplissait-elle pas cette action à faire frémir ? Quand il venait des lépreux se présentant après s'être annoncés par leur signal, elle ordonnait à une servante de s'enquérir avec une pieuse attention d'où ils venaient et combien ils étaient.
Une fois renseignée, la table préparée, plateau, cuillères, couteaux, brocs, boisson, coupes, elle s'introduisait en cachette dans la galerie voisine, pour que personne ne pût l'apercevoir.
Alors, prenant dans ses bras des femmes marquées de diverses taches de lèpre, elle leur baisait le visage, les chérissant de tout son cœur.
Ensuite, quand la table était dressée, elle apportait de l'eau chaude, leur lavait la face, les mains, les ongles et les ulcères.
Et derechef elle s'en occupait, les nourrissant l'une après l'autre.
À leur départ, elle leur offrait un secours d'or ou de vêtement, ayant au plus un seul témoin de sa générosité.
Cependant qu'une servante osait lui faire remarquer par flatterie : « Très sainte maîtresse, qui voudra te donner un baiser, toi qui as embrassé des lépreux ? »
Elle répondit gentiment : « Vraiment si tu ne veux pas me donner un baiser, cela ne me fait aucune peine ».
XX
Cependant, avec l'aide de Dieu, Radegonde elle-même brilla par des miracles variés.
Donc si quelqu'un désespérait de la plaie d'une pustule, une servante présentait une feuille de vigne à la sainte, disant faussement qu'elle en avait besoin.
Ainsi à peine avait-elle obtenu un signe de croix que, portant la feuille au désespéré, elle l'appliquait sur la blessure et le remède survenait bientôt.
De même s'il venait un malade pris de frissons ou atteint de langueur, disant avoir vu en songe qu'il lui fallait pour sa guérison se rendre auprès de la sainte femme, elle présentait à un des serviteurs un cierge et, durant la nuit, tandis qu'il se consumait, le mal recevait la mort et le malade la santé.
Et chaque fois qu'elle avait appris que quelqu'un gisait au lit, elle lui apportait des fruits exotiques et restaurait le malade grâce à la douceur et à la chaleur du fruit.
Et tel qui, malade depuis dix jours déjà, n'avait pris aucune nourriture, sitôt qu'elle lui en présentait, recevait cette nourriture en même temps que la santé.
Radegonde cependant ordonnait de n'en rien révéler dans les bavardages.
XXI
Quel grand concours de peuple en vérité le jour où la sainte décida de se reclure : ceux que les places ne pouvaient contenir montèrent sur les toits et les garnirent.
Ce que la très sainte accomplit avec ferveur en fait de jeûne, d'obéissance, d'humilité, de charité, de peine et de mortification, qui en ferait le tour la proclamerait aussi accomplie que martyre.
En effet, à l'exception du saint jour du Seigneur, tous les jours furent pour la très sainte des jours de jeûne.
C'était vraiment presque un jeûne que de se nourrir de lentilles et de légumes ; volailles, poissons, fruits et œufs ne faisaient pas partie de ses aliments.
À la vérité le pain de ses délices était de seigle ou d'orge qu'elle prenait dissimulé sous des galettes pour qu'on ne s'en aperçût pas.
Et de même elle buvait de l'eau miellée, du poiré, mais versés avec modération pour étancher la soif.
XXII
Dès le premier carême où elle s'enferma dans une cellule, jusqu'à ce qu'il se fût écoulé, elle ne prit pas de pain pour nourriture, si ce n'est le jour du Seigneur.
Elle ne se nourrissait que de « racines » ou d'herbes potagères, préparées avec de la mauve, sans une goutte d'huile et sans sel.
Mais pour ce qui est de l'eau, pendant tout le jeûne du carême, elle n'en prit même pas deux setiers.
Aussi souffrait-elle d'une telle soif que, dans l'aridité de sa gorge desséchée, c'est à peine si elle pouvait dire un psaume.
Elle portait un cilice à même le corps en guise de linge, elle chantait l'office sans interruption et participait aux vigiles jusqu'au bout.
Devant elle une couche de cendre sur laquelle elle jetait un cilice, voilà ce qui lui servait de lit.
Ce repos même la fatiguait, elle à qui il paraissait peu important de soutenir son pauvre corps.
XXIII
Alors que toutes les moniales étaient encore endormies, Radegonde nettoyait et graissait les chaussures et les rapportait à chacune.
Pour les autres carêmes, se relâchant un peu, elle prenait quelque nourriture le jeudi puis le dimanche.
Car pour le reste du temps, sauf les jours de Pâques et le jour de la fête par excellence, tant que la maladie le lui permit, elle ne cessa sur la cendre et le cilice de mener une vie d'austérité.
Debout la première pour psalmodier avant que la communauté ne fût levée.
En effet des charges du monastère rien ne lui plut à moins que d'être la première à servir.
Et elle se châtiait elle-même lorsqu'elle n'accomplissait une bonne œuvre qu'après une autre ; aussi, à son tour, balayait-elle les places et même les recoins du monastère, nettoyant tout ce qui était souillé et ne redoutant pas d'évacuer à l'extérieur les charges que d'autres ne voyaient qu'avec horreur.
Nettoyer aussi le lieu secret, c'est une œuvre à laquelle sans tarder elle s'employait elle supportait la puanteur des excréments et se serait crue inférieure à elle-même si elle ne s'était pas ennoblie par la bassesse du service.
Portant des brassées de bois, elle soufflait sur le feu et le stimulait à l'aide de pincettes.
Elle ne se retirait pas quand elle se blessait en tombant, et, même quand elle n'était pas de semaine, elle servait les malades.
Elle faisait elle-même leur cuisine, leur lavait le visage. Elle leur offrait elle-même des boissons chaudes, visitait ceux qu'elle choyait et regagnait à jeun sa cellule.
XXIV
Qui pourrait expliquer quelle ardeur la poussait à courir à la cuisine, quand elle faisait sa semaine ?
Ensuite tout le bois qui était nécessaire, seule elle en portait la charge.
Elle tirait l'eau du puits et la distribuait dans des récipients.
Elle nettoyait les herbes potagères, lavait les légumes, lavait et apportait les plats.
Puis, le repas achevé, elle lavait elle-même la vaisselle, la faisait briller et évacuait toutes les saletés de la cuisine, jusqu'aux derniers immondices.
Alors, se précipitant chez les malades, elle s'activait sans la moindre tiédeur.
Et avant qu'elle eût reçu la règle d'Arles, même quand elle n'était pas de semaine, la très sainte préparait pour toutes avec humilité suffisamment d'eau chaude, lavant les pieds et les baisant.
Et encore prosternée, elle demandait pardon à toutes de la négligence commise.
XXV
Aussi après tant de labeurs, celui qui vous parle ici frémit-il de rapporter les peines qu'elle allait s'infliger.
Une fois pendant le carême, elle attacha à son cou et à ses bras trois cercles de fer qu'on lui avait apportés, puis, y passant trois chaînes, elle les serra si étroitement autour de son corps que ses chairs tendres se boursouflant s'incrustèrent dans le dur métal.
Le temps du jeûne achevé, quand elle voulut arracher les chaînes de la peau qui s'était refermée sur elles, elle en fut incapable ; on incisa la chair tout autour, sur le dos et la poitrine, par-dessus le fer des chaînes : l'effusion du sang épuisa à l'extrême son pauvre corps.
XXVI
De même, une autre fois, elle donna l'ordre de fabriquer une lame de laiton en forme du monogramme du Christ.
Cette lame, rougie au feu dans sa cellule, elle se l'appliqua si profondément à deux endroits du corps que sa chair fut entièrement brûlée.
Ainsi, l'esprit enflammé, faisait-elle brûler ses membres.
Tortionnaire d'elle-même, voilà qu'elle imagine quelque chose d'encore plus pénible : pendant l'un des carêmes, outre un jeûne austère et le supplice d'une soif brûlante et le cilice encore, qui rongeait ses membres comme une lime de ses crins rudes, elle ordonne qu'on lui apporte un bassin rempli de charbons ardents.
Tous étant sortis, tremblant de tous ses membres mais l'esprit armé pour la peine, elle se prépare, puisque ce n'était plus le temps de la persécution, à se faire martyre par elle-même.
Alors, pour rafraîchir un esprit si brûlant, elle décide d'embraser son corps.
Elle applique sur elle l'airain incandescent, les membres brûlés grésillent.
La peau est consumée et là où le feu a touché se forment de profondes crevasses.
Se taisant pourtant, elle dissimule les plaies.
Mais le sang putréfié fait sentir ce que la voix ne trahissait pas dans la douleur.
C'est ainsi qu'une femme, pour la douceur du Christ, souffrit volontiers tant de peines amères.
Il en advint que les miracles révélèrent ce qu'elle aurait voulu cacher.
XXVII
Ainsi une dame nommée Bella, épouse de Gislaad, un grand, mais très malheureuse parce qu'elle était depuis longtemps affligée de cécité, demanda-t-elle instamment qu'on la conduisît de Francie à Poitiers en présence de la sainte vénérée.
Celle-ci, bien que priée à une heure tardive de la recevoir, se la fit présenter dans le silence d'une sombre nuit.
Prosternée aux genoux de Radegonde, elle obtient avec peine qu'elle daigne faire un signe de croix sur ses yeux.
Peu après, dès qu'elle eut tracé le signe de la croix au nom du Christ, la cécité s'enfuit, la lumière revint.
Et le jour s'éclaira dans la nuit pour celle qui avait été longtemps privée de la lumière : il avait fallu la conduire, elle s'en retourna sans guide.
En effet il ne faut pas dédaigner les miracles qui sont faits pour l'honneur de Dieu en raison des mérites de la sainte reine.
XXVIII
Tel celui dont bénéficia Fraifrède, une jeune fille : tandis qu'elle était si méchamment torturée à l'instigation de l'Ennemi, à Saix, entre les mains de la sainte elle obtint d'être guérie sans retard.
Mais il ne faut pas omettre l'occasion de guérison que fournit la sainte.
Leubile, une femme, qui était durement maltraitée à la campagne par l'Adversaire, le jour suivant, pendant la prière de la sainte, fut l'objet d'une nouvelle guérison du Christ : crevant la peau de l'épaule, un ver en sortit et elle fut guérie aux yeux de tous.
Alors, foulant ce ver du pied, elle s'en retourna libérée.
XXIX
Ce qu'elle fit en secret, qu'on l'annonce au peuple.
Depuis toute une année, une moniale était glacée de froid le jour, dévorée de feu la nuit et, comme elle ne pouvait faire un pas depuis six mois et qu'elle gisait inanimée, une autre sœur annonça à la sainte son infirmité.
La malade étant à bout de forces, Radegonde prescrivit de préparer un bain tiède.
Puis elle la fit transporter auprès d'elle, dans la cellule et la fit déposer dans l'eau tiède.
Elle ordonne ensuite à tous de se retirer.
Et restant toute seule, ensemble malade et médecin, pendant près de deux heures, suivant la forme du corps de la tête aux pieds, elle soulève les membres infirmes.
Ce faisant, où touchait la main, la douleur s'enfuyait du corps malade.
Et celle qu'à deux on avait déposée, sort rétablie de l'eau tiède ; elle qui ne pouvait même pas en supporter l'odeur, prit du vin, le but et s'en trouva réconfortée.
Que dire de plus ?
Le lendemain du jour où déjà l'on pensait qu'elle quitterait ce monde, guérie elle se montra en public.
XXX
Que l'on ajoute encore à la louange de Radegonde ce qui à juste titre ne s'est pas perdu.
Une femme souffrait gravement d'une attaque de l'Ennemi et c'était à peine si on avait pu conduire la possédée rebelle près de la sainte ; elle commande à l'Adversaire de se prosterner dans sa crainte sur le pavement.
Bientôt, à la parole de la sainte, se jetant à terre, celui qui était craint fut épouvanté.
La sainte, avec une foi entière, lui marcha sur la tête et le démon sortit dans un flux de ventre.
C'est dans les plus petits détails que réside la grande gloire du Créateur.
Ainsi donc un jour que la pelote que la sainte avait filée pendait de la voûte, voici qu'une souris vint la toucher, mais, avant d'avoir pu couper le fil, morte de sa morsure, elle se trouva pendue.
XXXI
Insérons dans cet ouvrage un fait si digne du nom de miracle.
Un homme, du nom de Floreius, pêchant pour la sainte, peinait sur mer quand se leva le tourbillon des vents et que se dressa la masse des flots ; le matelot ne pouvant vider la sentine avant que l'onde déferlante ne la submergeât, comme le navire plein d'eau sombrait, Floreius dans cette extrémité s'écria : « Sainte Radegonde, pendant que nous t'obéissons, ne nous laisse pas engloutir dans le naufrage mais obtiens de Dieu que nous soyons délivrés de la mer ».
Cela dit, la nuée s'enfuit bientôt, le temps redevint serein, l'onde s'apaisa et la proue se redressa.
XXXII
Goda, une jeune fille qui vivait dans le siècle mais qui par la suite servit Dieu comme moniale, était depuis longtemps allongée tristement sur son lit, et, plus on dépensait de remèdes pour elle, plus elle languissait ; un cierge fut fait à la mesure de sa taille et, Dieu ayant pitié au nom de la sainte femme, à l'heure où elle attendait le froid, elle alluma le cierge et le tint.
Par son bienfait les frissons s'enfuirent avant qu'il ne fût consumé.
XXXIII
Si, pour faire bref, nous passons sous silence beaucoup de choses, nous péchons d'autant plus.
Donc, tandis que d'autres ont été purifiés rapidement, pour la femme d'un charpentier le remède s'est fait attendre ; alors qu'elle était tourmentée depuis plusieurs jours par l'Énergumène, sa vénérable abbesse dit en badinant à la sainte : « Mère, crois-le, je te retranche de la communauté si dans ces trois jours cette femme n'a pas été débarrassée de l'Ennemi ».
Elle le dit tout net, mais la sainte agit.
En effet, comme la femme s'éloignait en secret au temps du repos pendant que Radegonde faisait pénitence, rappelons ce qui arriva.
Le lendemain, pendant que la sainte priait, l'Adversaire rugissant, sortant par l'oreille, abandonne ce vase qu'il avait envahi.
La femme sauvée retourne chez elle avec son mari.
N'omettons pas non plus ce qui advint de manière très semblable.
La très sainte demande que l'on arrache du lieu où il poussait un robuste laurier et qu'on le transporte près de sa cellule pour son agrément.
Après quoi l'arbre transplanté ne reprend pas racine et perd toutes ses feuilles.
L'abbesse, par manière de plaisanterie, en impute la faute à Radegonde : si elle n'obtenait pas par ses prières que l'arbre reprît racine, elle la priverait de nourriture.
Ce ne fut pas dit en vain.
Car, à l'intercession de la sainte, le laurier desséché reverdit dans ses feuilles, ses branches et sa racine.
XXXIV
Une des moniales, plus intime de Radegonde dont l’œil était voilé par les humeurs du sang, prit une herbe d'absinthe que sur sa poitrine la sainte avait gardée pour se rafraîchir; quand elle la posa sur l’œil, la douleur et l'épanchement disparurent bientôt.
Ainsi de la verdeur du rameau, les douleurs enfuies, jaillit la pureté de la lumière.
Que soit remis en mémoire un fait dont on ne parlait presque pas.
Anderedus, régisseur de la très sainte, chaque fois que lui naissaient des fils, les voyant à peine avant que de les perdre, devait songer à les ensevelir.
Mais un jour aussi où la mère s'attristait de mettre au monde un enfant inanimé, les parents tous les deux en larmes le jettent sur le cilice de la sainte.
Dès que le corps eut touché ce vêtement très salutaire, l'enfant revint de la mort à la vie.
Et reprenant couleur, il sort de la couverture, lui dont la pâleur le rendait proche du tombeau.
XXXV
Qui pourrait compter les merveilles qu'opère la clémence miséricordieuse du Christ
Une moniale, appelée Animia, gonflée d'hydropisie, était tellement enflée par la maladie que sa santé était au plus bas et que les sœurs envoyées auprès d'elle se demandaient à quel moment elle rendrait l'esprit, quand il lui sembla pendant son sommeil que sainte Radegonde, en compagnie de la vénérable abbesse, ordonnait de la descendre nue dans un bain sans liquide.
Ensuite, de sa main, la bienheureuse sembla faire couler de l'huile sur la tête de la malade, puis la couvrit d'un nouveau vêtement.
Ce mystère accompli, elle s'éveilla de son sommeil et rien n'apparut plus de la maladie au point que, sans avoir un peu transpiré, l'eau de son hydropisie s'était résorbée en elle.
Immédiatement après ce nouveau miracle, la maladie ne laissa pas de trace dans son ventre.
Et celle que l'on croyait porter au tombeau rapidement se lève du lit pour l'office l'odeur restait sur sa tête en témoignage de l'huile, et nul mal de ventre.
XXXVI
Annonçons-le à tous pour que le pays s'en réjouisse : une fois, lorsque le crépuscule du soir étendait son ombre et que des personnes du siècle, portant guirlandes et cithares, chantaient à grand tumulte autour du monastère, alors que la sainte avait discouru assez longuement devant deux témoins, une moniale dit par plaisanterie : « Madame, j'ai reconnu une de mes chansons lancées par des danseur ».
Elle répondit : « C'est un peu fort que toi qui es liée à la vie monastique, tu prennes plaisir à entendre l'odeur du siècle ».
La sœur insiste encore : « C'est vrai, Madame, ce sont deux et même trois de mes chansons que je viens d'entendre, des chansons que j'ai retenues ».
La sainte répond : « Dieu m'est témoin qu'à l'instant je n'ai rien entendu d'un chant dans le goût du siècle ».
Voilà qui est manifeste : bien que vivant par la chair dans le siècle, elle vivait cependant par l'esprit dans le ciel.
XXXVII
Annonçons pour la louange du Christ un type de miracle ancien, pour le temps présent, à la manière de saint Martin.
Alors que la très sainte femme était enfermée dans sa cellule, elle entendit les pleurs d'une moniale.
Elle lui fait signe de venir et lui demande ce qu'il en était.
Elle lui annonça qu'une sœur, encore une jeune enfant, était morte et que, pour laver son corps refroidi, on préparait déjà l'eau chaude.
La sainte, partageant sa douleur, commande alors d'apporter ce cadavre dans la cellule.
Quand on le lui eut apporté, le recevant dans ses bras, la porte bientôt fermée derrière elle, elle ordonna à tous de s'éloigner afin que personne ne se rendît compte de ce qu'elle allait faire.
Mais ce qu'elle accomplir secrètement, ne put longtemps rester caché.
Cependant, tandis qu'on prépare les funérailles de la défunte, durant sept heures environ elle palpe le petit corps de la morte.
Mais le Christ voyant sa foi, ne put lui opposer un refus et l'enfant fut rendue à la santé.
L'une sort de son oraison, l'autre ressort de la mort.
Et alors la vieille femme se relève, puisque la petite enfant a retrouvé la vie.
Ayant de nouveau fait signe, toute joyeuse, elle rendit pleine de vie celle qu'en pleurant elle avait reçue morte.
XXXVIII
Il faut aussi rappeler ce fait bien connu.
Le jour où la très sainte quitta le monde un tribun du fisc du nom de Domolenus, que la suffocation avait gravement et profondément privé de ses forces, eut un songe il lui semblait qu'avec bienveillance la sainte s'était rendue dans sa bourgade.
Il court, il salue, demande ce que la sainte cherchait.
Celle-ci lui dit que c'est pour le voir qu'elle est arrivée jusque-là.
Et parce que c'était le vœu du peuple d'établir un oratoire en l'honneur de saint Martin, la très sainte saisit la main de l'agent du fisc, disant : « Qu'il y ait en ce lieu de vénérables reliques du confesseur.
Édifiez là un temple qu'il reconnaisse pour très digne de lui ».
Quel mystère de Dieu !
On trouva fondations et pavement.
Pendant qu'il dormait encore, elle lui racle le gosier de la main, adoucit longuement sa gorge et dit en outre : «Je suis venue pour que Dieu t'accorde une meilleure santé ». Et il semblait qu'elle lui faisait cette prière « Par ma vie, à cause de moi, relâche ceux que tu gardes en prison ». S'éveillant le tribun rapporte à sa femme ce qu'il avait vu et lui dit « Je crois vraiment qu'à cette heure la sainte a quitté ce monde ».
Il envoie quelqu'un à la cité pour connaître véritablement ce qu'il en était.
Il fait avertir la prison de relâcher sept accusés qui y étaient retenus.
En revenant, le messager rapporte qu'à cette heure même la juste avait quitté le siècle.
Ainsi, par ce triple mystère - prison ouverte, tribun guéri, temple construit -, est confirmé l'oracle de la sainte.
XXXIX
Quant aux vertus de la sainte, que la concision suffise pour que la prolixité ne soit pas fastidieuse. Et qu'on ne croie pas à un excès de brièveté là où nous saisissons la grandeur à partir de quelques miracles.
Avec quel ménagement de piété, quelle douceur d'amour, quelle honnête humilité, quelle foi fervente, cette sainte a vécu, si bien que des merveilles l'accompagnent aussi après la rencontre du glorieux passage, la mesure de l'éloquence humaine étonnée d'admiration n'a pas la force de l'exprimer.
À Celui qui nous l'a donnée, gloire, louange et puissance dans les siècles des siècles. Amen.